Depuis une trentaine d’années, Dominique Vermeesch alias (do.space) a développé, depuis son antre brabançon, une œuvre à la fois discrète, puissante, inclassable et hybride croisant vidéo, performance, installation, dessin (elle est à l’origine plasticienne) avec, en filigrane, la dimension sonore (sous forme d’objets mais aussi de paroles et de flux audio matiéristes concoctés par son complice daniel duchamP).
Rencontre avec Dominique Vermeesch
(do.space) est incarné par le corps d’une chercheuse d’invisible et d’indicible (ses textes qu’elle distille – oralement et par fragments écrits – dans les différents dispositifs installatifs nous fascinent autant qu’ils nous perdent), un personnage iconique d’une sœur combattante sou- vent vêtue d’une tenue noire austère qui devient « centre d’ondes du monde ». Il nous parle tant de désolation que d’hallucination, d’introspection que de transformation et de ce besoin de croire au milieu du grand néant, pour nous faire percevoir ce « sentiment d’être chez soi dans l’exil » (Simone Weil).
Rencontre à l’occasion de l’exposition à l’espace privé pour l’art contemporain Kamer negen /K9 en région bruxelloise avant sa participation l’exposition Traces de l’invisible au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris et la publication prochaine de Notes pour une seule voix(e), catalogue monographique aux éditions La Lettre Volée.
Philippe Franck : Vous travaillez tant l’image fixe que la vidéo et le lien avec le son, comment jouez-vous de ces correspondances ?
Dominique Vermeesch : Notre monde fait d’espaces collés avec ou sans frontières, de sons arrachés ou hybridés à des tas d’images hackées illisibles-invisibles « empreint » mon corps de brouillard. Afin de percevoir l’ici et l’ailleurs, j’ai construit un dispositif de perception : j’entends les sons, les images avec l’âme, « vibrhurle » (crier en vibrant comme dirait la philosophe des sciences belge Vinciane Despret en parlant du son produit par les araignées quand elles s’adressent aux arachnologues dans un monde devenu trop bruyant pour elles – NDLR) la peur avec les yeux, avale des fréquences avec l’oreille qui tous ensemble poussent à jouir-créer une langue-vision. Pour revenir aux liens et correspondances à travers ma création, j’active dans un même temps de
façon « sourde » ces captations. Je peux vous donner cet exemple : quand il y a création d’une vidéo-performance, que je porte un harnais fait de haut-parleurs, il se peut qu’il n’y ait rien à entendre, qu’il n’y ait aucun son « lisible-entendu » directement. Les sons–mots peuvent se diffuser-sonner ailleurs par exemple, par le biais d’un écrit situé dans le même espace.
P.F. : Le son peut être aussi signifiant par la marque de son absence ou chez vous, de sa volontaire incomplétude, fragmentation. Comment travaillez-vous en binôme pour cette dimension avec l’alchimiste sonique daniel duchamP, fidèle compagnon de route qui a également développé une œuvre singulière ? Qu’est-ce qui réunit vos démarches respectives ?
D.V. : daniel duchamP s’occupe de toute l’ingénierie sonore de mes pièces. Comme je suis intéressée par le traitement sonore de ma voix, j’ai voulu diffuser mes réso- nances intérieures. À partir de notes écrites, j’enregistre celles-ci mais de façon brute incluant répétitions de mots consonants, dissonants ou muets qui taisent ce que je ne sais pas dire. L’enregistrement terminé, je le passe à daniel qui récupère celui-ci pour créer des échantillons de la voix. Ensuite, daniel les reprend et les retravaille par ordinateur et du synthé modulaire ou par applica- tions choisies qui construisent la mise en espace du flux vocal qui s’accorde avec le texte d’origine. Les pièces réalisées le sont donc toutes uniquement à partir de ma propre voix.
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Turbulences Vidéo #112 - Sommaire
/// CHRONIQUES EN MOUVEMENT ///
- Enveloppez-moi ça – par Jean-Paul Fargier (p.5)
- Le temps d’un sein nu… ou 34 ans d’Instants Vidéo – par Jean-Paul Fargier (p.11)
- Souche, une sculpture vidéo en mouvement – par Gabriel Soucheyre (p.25) FR/EN/RU
- Espace, couleur, épiphanie – par Gilbert Pons (p.35)
- AR, VR, XR… Écritures augmentées in progress – par Philippe Franck (p.62)i-REAL – Voyage dans les Cartographies Sensibles – propos recueillis par Philippe Franck (p.41)
- Gaëtan Le Coarer – Rencontre – propos recueillis par Jacques Urbanska (p.52)
- (do.space) – La transfiguration du corps-voix – propos recueillis par Philippe Franck (p.66)
- Fugitives – Duo show, Romain Dumesnil & Jérémy Laffon – par Diego Bustamente (p.72)
- Narcisse de Oscar A – par Maxence Grugier (p.77)
- Oscar A, pratiques artistiques et dynamiques relationnelles – propos recueillis par Maxence Grugier (p.77) Jacques Lizène (1946 – 2021) – par Jean-Paul Fargier (p.86)
/// PORTRAIT D’ARTISTE : ANNABELLE PLAYE ///
- Entretien avec Annabelle Playe – propos recueillis par Gabriel Soucheyre (p.90) FR/EN Vaisseaux – Installation 2015 – par Annabelle Playe et Grégory Robin (p.98)
- Annabelle Playe dans ses œuvres à la chapelle de l’Oratoire – par La Montagne (p.100)
- Annabelle Playe – Rencontre – propos recueillis par Monique Valadieu & Kasper Toepliz (p.102) Geyser d’Annabelle Playe – par Tj Norris (p.106)
- M Δ G N Δ d’Annabelle Playe – par ana compagnie (p.109) Portrait Vidéo – par Gabriel Soucheyre (p.113)
/// SUR LE FOND ///
- Delavaud presents Hitchcock – par Alain Bourges (p.114)
- Scènes de la vie conjugale – par Alain Bourges (p.122)
- ArtistE, vois-moi nomme-toi ! – par Charlotte Borie (p.128)
- « Celles qu’on a pas eues » un diptyque sans images, ou à peu près – par Tristan Passerel (p.132) Les passifs et les dystopies de Lousnak – par Jean-Paul Gavard-Perret (p.137)
- Linda Tuloup – La déferlante et le feu – par Jean-Paul Gavard-Perret (p.139)
/// LES ŒUVRES EN SCÈNE ///
- Robyn Orlin – par Geneviève Charras (p.141)
Informations
Production
- Videoformes
- Article : avec le soutien de Transcultures et des European Pepinieres of Creation
- videoformes.com/magazine