Philippe Franck : Autour de Vice Versa 1.0 (de la recherche à la création numérique)

Philippe Franck : Autour de Vice Versa 1.0 (de la recherche à la création numérique)

Pour la clôture du festival City Sonic et à l’occasion des lancements de la Quinzaine numérique 2014 et de la Quinzaine Numérique Mons, Transcultures a proposé une manifestation polymorphe (exposition, installations, projections, conférences, présentations, applications) intitulée Vice versa 1.0 (de la recherche à la création numérique – commissariat de P. Franck et J. Urbanska). Retour sur ces manifestation avec Philippe Franck, directeur de Transcultures.

Que représente pour vous la Quinzaine numérique en tant qu’acteur historique des arts numériques en Fédération Wallonie-Bruxelles et également membre de la commission arts numériques du Ministère ?

Philippe Franck : La Quinzaine numérique initiée en 2013 par le Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles est en soit louable dans son ouverture à tous les publics (y compris aux moins spécialisés) et dans sa volonté de donner une visibilité accrue à la fois aux projets, aux artistes et aux opérateurs en proposant un temps fort. Nous allons faire un bilan de cette deuxième édition prochainement en commission arts numériques où nous nous battons ensemble, avec des sensibilités certes diverses mais conciliables, pour défendre ce secteur en expansion (et qui « contamine » de plus en plus de champs culturels et autres) et obtenir plus de moyens pour aider à la conception, la production, la diffusion et la promotion de ces œuvres et événements. En période de crise, c’est un défi mais ce que j’ai peu entendre des discours de nos décideurs me paraissent plutôt encourageants.

Personnellement, il me semble que si la Quinzaine continue à se développer (et cette édition a proposé plus d’activités et a sans doute touché plus de public que le premier essai trop peu promotionné en général, à l’époque) notamment en faveur des structures peut être moins « assises » (bien que chez nous, c’est très relatif dans ce domaine) qui en bénéficient peut être d’avantage au final, elle ne devrait pas oblitérer d’autres temps forts et festivals, dans la saison, qui devraient pouvoir aussi pouvoir obtenir une aide suffisante pour offrir aux publics et aux artistes une programmation de qualité internationale avec le plus de rémanence possible. Il manque, par exemple, encore, à mon sens, un grand festival de référence (comme l’Autriche a Ars Electronica, l’Allemagne Transmediale, la France, les Bains numériques et d’autres) chez nous même si les événements se multiplient et que plusieurs tentatives volontaristes sont régulièrement faites tant à Bruxelles qu’à Mons.

Dans le cadre de Mons2015, Capitale européenne de la culture, nous allons proposer une cinquième édition de notre Biennale des cultures numériques Transnumériques mais même dans ce contexte favorable, nous devrons aussi être très « inventifs » pour réunir assez de moyens. Heureusement, Transcultures jouit, depuis plusieurs années (et cela fait partie intégrante de notre approche), un bon réseau international et de nombreux partenaires locaux et régionaux que nous allons activer là aussi pour nourrir des collaborations, co-productions et échanges fructueux.

Il est aussi important que les structures puissent travailler dans une certaine sérénité et aussi sur les moyen et long termes pour mener à bien leurs missions et se développer.

Comment avez-vous choisi les installations et performances qui font parties de la Quinzaine numérique ? Quels étaient les critères de sélection ?

Ph. F. : Nous nous sommes centrés avec Jacques Urbanska, co-commissaire artistique de ce premier événement Vice Versa-de la recherche à la création numérique imaginé pour la Quinzaine numérique, sur les œuvres ayant bénéficié à la fois d’un temps de recherche appliquée et dédiée par des ingénieurs de l’Institut de recherche numediart (Université de Mons), ainsi que du suivi de production artistique de Transcultures.

Nous avons en fait souvent collaboré depuis la création de numediart en 2007 (qui correspond environ à notre arrivée à Mons) mais nous n’avions jamais vraiment mis l’accent sur ce trait d’union recherche/production/création artistique et c’est tout naturellement que les œuvres interactives (performances, installations, applications ou dispositifs plus ludiques) de Thomas Israël (avec sa grande sculpture immersive Méta-Crâne), Gauthier Keyaerts (nouvelle étape de la performance/installation Fragments#43-44), Nicolas d’Alessandro (Say Aaaah ! un face à face ludique en prélude de son installation mobile et vocale Voix des Anges que nous présenterons en septembre 2015 dans le festival City Sonic), François Zajéga avec une nouvelle étape de la performance Tanukis sur la musique live du Loïc Rebourssière à la guitare augmentée (notons que ces deux trois étant chercheurs et créateurs) ou encore des Larbitsisters (les sœurs Jacobs dont une est chercheuse et l’autre, média artiste) avec leur nouvelle application pour smartphones, Algorithmic tubetales se sont imposés comme une évidence. Nous avons également associé une nouvelle installation connectée créant des sortes de haïkus futuristes tirés de flux de bots, Threads, de l’artiste lillois Fabien Zocco (également concepteur/programmeur) que nous accueillons en résidence dans le cadre des Pépinières européennes pour jeunes artistes (dont Transcultures est coordinateur national pour la Fédération Wallonie-Bruxelles).

En complément, nous avons montré une sélection internationale de vidéos numériques du festival d’art vidéo et des cultures numériques Vidéoformes (Clermont-Ferrand) présentée par son directeur Gabriel Soucheyre et d’échanges créatifs entre des villes du monde entier avec les Vidéocollectifs (initié par le concepteur-artiste français Natan Karczmar dès les années 80), également en prologue de partenariats qui seront plus développés à l’occasion des Transnumériques dans Mons2015.

Cette exposition organisée dans les bâtiments de l’école des arts visuels Arts2 et, non loin de là, sur le site des anciens abattoirs où est basé Transcultures a été balisée par des rencontres avec les participants, des présentations, des performances… afin de créer une proximité et un dialogue convivial avec différents publics (étudiants, familles, professionnels…).

Qu’espérez-vous que cet événement a apporté au public ?

Ph. F. : Une curiosité pour des expériences artistiques inédites et au-delà, la diversité de ces mondes numériques en mouvement, ces créativités (qu’elles soient scientifiques ou artistiques et qui ici se recoupent) non seulement technologiques mais issues également de nouvelles formes d’écriture au sens large.

Qu’attendez-vous des participants ? Quel type d’interaction cette manifestation lui propose-t-il ?

Ph. F : L’interaction, ça commence par proposer et faciliter, entre les œuvres et les publics, une relation active, créative, voire interrogative. Les œuvres que nous montrons ne sont pas « neutres » ; elles apportent également un regard poétique qui peut être critique sur notre société de l’information (ou parfois de « désinformation »), et se servent de ces médias pour les pousser plus loin et les rendre conducteurs de sens. Ils nous invitent à relire les textes de ce grand visionnaire qu’était Marshall McLuhan et son fameux « medium is the message » (ou « the massage ») écrit, à l’avènement de « l’âge électronique », dans les années 60.

La thématique « programmer et être programmé » implique-t-elle un risque lié à l’utilisation du numérique dans nos vies ?

Ce titre générique interpellant choisi pour cette Quinzaine numérique@Mons par nos partenaires d’Arts2 est en fait emprunté à l’ouvrage éponyme (sous-titré 10 commandements pour l’ère digitale) de l’essayiste nord-américain Douglas Rushkoff, dans lequel il pointait une méconnaissance contemporaine du numérique et nous enjoignait à prendre en main les outils technologiques pour ne pas être manipulés.

Rushkoff parlait de « logiciels sociaux hérités de systèmes dont nous n’avons plus souvenir » et y disait en substance : « si nous ne pouvons pas voir à l’intérieur de l’ordinateur, on ne se rendra jamais compte que le monde extérieur fonctionne sur des codes obsolètes ».

Quatre ans après la sortie de ce livre de ce grand défenseur de l’open source, ce constat qui est aussi un avertissement reste d’actualité et il nous semble important que les créateurs et les chercheurs prennent position pour nous inviter à faire de même si l’on refuse des « vies pré programmées ».

Propos recueillis par Zoé Tabourdiot
Octobre 2014