(Re)Connecter les singularités créatives – Philippe Franck

(Re)Connecter les singularités créatives – Philippe Franck

Le confinement obligatoire dû à la pandémie du Covid 19 nous force au-delà des reports-annulations des activités prévues préalablement (dans le cas de Transcultures, le festival Transnumériques et son exposition Digital Icons à La Louvière en pause après une semaine de démarrage début mars enthousiaste, plusieurs partenariats internationaux dont des participations à des festivals en Côte d’Ivoire-Rencontres internationales d’arts numériques et visuelles, Reims – La magnifique avant-garde, Italie-Ibrida…), à nous recentrer et à repenser encore plus loin nos modes de création-production-diffusion dans ce rapport à l’autre et à nous mêmes “si loin si proche” questionné.

Dans une récente interview donnée au journal Libération, le vénérable sociologue Edgar Morin dont la vision inter et transdisciplinaire nous a inspiré depuis le lancement du projet Transcultures, déclare voir dans ce moment de stupeur planétaire, une “crise existentielle salutaire” susceptible de nous faire ressentir plus fortement que jamais “la communauté de destin de toute l’humanité”. Le courage, qui nous rappelle Cynthia Fleury, est de ne jamais faire le deuil du sens. Dans son pamphlet Le soin est un humanisme publié en 2019, elle remet cette notion au coeur d’une vision humaniste qui intègre la vulnérabilité comme “inséparable de la puissance génératrice des individus”. Aujourd’hui, plus que jamais, nous constatons avec la philosophe-psychanalyste que “Quand la civilisation n’est pas soin, elle n’est rien”.

Alors que pouvons-nous faire nous les “travailleurs culturels” dans cette grande mutation-confusion qui amplifie tant les replis individualistes que les élans solidaires ? Nous choisissons, en guise de résistance aussi contre nous mêmes, plutôt que de nous blottir dans la peur de la grisaille globale, de traquer par la fenêtre, le rayon de soleil et de tenter de le partager autrement mais peut être encore plus profondément. Dans cette perspective créaconnectée, nous soutiendrons et lancerons plusieurs initiatives, projets et programmes en ligne, d’autres suivront dans les prochains mois et seront intégrés pleinement dans le programme d’activités de Transcultures.

Dans son texte Standon (issu d’une performance que nous avions présentée dans Transnumériques en 2008) aujourd’hui publié par nos partenaires Rhizome, Pascal Leclercq écrit “Nous fonçons tête baissée dans ce qui nous enferme, et notre liberté est toujours plus restreinte. Pourtant nous feignons toujours plus de l’adorer, dans des orgies au cours desquelles c’est un grand déshonneur de sombrer le dernier”. Le véritable poète est un voyant ; il voit que ce n’est “pas la mort mais notre nuit véritable qui nous porte et nous révèle” (Catrine Godin).

Aujourd’hui est déjà demain. Nous ne devrons/pourrons plus retomber dans notre capitalocène auto dévorante, sous peine de succomber à d’autres catastrophes annoncées, et continuer à ignorer les évidences criantes. Les artistes et les opérateurs culturels devront aussi se réinventer et imaginer d’autres formes relationnelles et travailler ensemble à l’utopie de la vraie vie.

Philippe Franck, mars 2020.
Transcultures