Ce catalogue a été édité à l’occasion de l’exposition Silent Noise de Tamara Laï au MACS, Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles en automne 2021, dont voici le texte d’introduction.
Depuis les débuts de son activité artistique (1985), Tamara Laï (née en Italie, vit et travaille à Liège) a produit une œuvre dont la panoplie de supports multimédia s’est étendue, au gré de son évolution et de ses découvertes, de la vidéo au site Web en passant par la performance cam & chat, la vidéoconférence, le recueil de poèmes ou le cédérom. Si elle a exploré d’abord la peinture et la photographie à l’Académie des Beaux-Arts de Liège et bénéficié de l’enseignement de Jacques-Louis Nyst, l’un des pionniers de l’art vidéo en Belgique, elle demeure peu connue dans le domaine des arts plastiques contemporains. Sensible au potentiel poétique que recèlent l’image et le son, à travers la fiction et la narration, Tamara Laï a trouvé au contraire un contexte favorable à son épanouissement artistique dans le secteur des arts numériques où ses œuvres, notamment de Net Art, éphémères et participatives, ont fait partie des sélections officielles de nombreux festivals internationaux à travers le monde.
Férue de cinéma et de littérature, Tamara Laï débute son parcours artistique au milieu des années 1980 en tant que vidéaste, notamment pour le Créahm (Créativité et handicap mental) où elle travaille à l’époque. En 1992, la réalisatrice reçoit un premier prix du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir à Paris pour sa vidéo Anatomica autour du travail d’un jeune chorégraphe espagnol, mais perçoit intuitivement l’émergence imminente des arts numériques. Après avoir suivi en 1993 une formation en communication multimédia interactive, Tamara Laï devient alors l’une des premières artistes belges à employer le support du cédérom et les réseaux du Web pour y développer des œuvres multimédias et interactives qui se distinguent par une poétique de l’hypertexte. Le Web Art, le Net Art, les projets participatifs et collaboratifs, la création de cédéroms interactifs l’occupent activement jusqu’à la réalisation en 2012 de ses vidéos Wandering et Sound Feelings. Conçues comme des road movies expérimentaux, ces vidéos et celles qui suivront sont élaborées à partir d’images enregistrées lors de ses voyages, retravaillées à la maison par des effets spéciaux relativement simples et partagées ensuite internationalement sur le Web avec les communautés virtuelles auxquelles elle est intégrée depuis longtemps.
Ayant mis ainsi un terme à sa production de sites, de performances cam & chat et de vidéoconférences, Tamara Laï poursuit depuis une dizaine d’années son cheminement artistique « sur la route » en filmant inlassablement le monde autour d’elle pour se constituer une réserve d’images d’où elle pourra tirer ses « vidéo-poèmes ». Observateur attentif des arts numériques, notamment au sein de Transcultures et du festival City Sonic, Philippe Franck y relève néanmoins la marque de la narration rhizomatique propre au langage développé par le cédérom ou le Web Art : « L’œuvre de Tamara Laï, écrit-il dans le catalogue de l’exposition, est un road movie infini, une errance avide d’altérité qui évolue, tout en traçant des correspondances, à travers divers lieux, villes, paysages, pays et cultures d’ici et d’ailleurs. Elle nous parle de notre diversité, de ses enchantements mais aussi de ses inquiétudes, de ses sensations et de ses questions… comme dans un journal de bord à entrées multiples, une histoire hypertextuelle, sans début ni fin. »
À travers une sélection de six vidéos réalisées entre 2012 et 2021, le MACS a choisi de présenter pour la première fois en dehors des festivals ou des réseaux d’arts numériques, l’œuvre éminemment poétique de cette artiste multimédia et activiste Web de la première heure. L’une d’elles, Silent Noise (2020), réalisée durant la période dite de « confinement » a donné son titre à l’exposition au Grand-Hornu. La formule qui souligne d’emblée l’importance du paysage sonore au cœur de l’œuvre multimédia de l’artiste est extraite d’un passage poétique où le flux de ses pensées pénètre, dans un climat élégiaque, celui de ses images cinématiques. Sur l’écran, un environnement de câbles et de béton est en train de chavirer et de se disloquer, tandis qu’un texte émerge – tel un e-mail – du naufrage :
« Too much silent noise today in my virtual life, cannot listen to the words of truth. » À l’ère du confinement, la formule oxymorique « silent noise » se fait alors l’écho de notre profonde solitude alors que la crise sanitaire réduit les relations sociales à des échanges distanciés. Constituée d’images filmées en Chine, en Écosse, en Italie avant la pandémie de la Covid-19 et d’autres tournées pendant le confinement à Liège, l’œuvre évoque le manque, l’isolement, l’atteinte à la liberté, la perte de la joie, mais aussi le besoin de respiration, de contact avec la nature et de recherche de l’insouciance perdue. Avec Silent Noise comme dans la plupart des vidéo-poèmes, Tamara Laï mixe ses images dans l’intention de tisser une immense narration dont la lecture s’avère multiple.
Comme Silent Noise, les vidéos Sound Feelings (2012) et Ascent (2013) sont marquées du signe du nomadisme et de la musique. Dans la première, cette errance poétique et sonore est entraînée par la performance filmée du jeu envoûtant du guitariste Gérard Jouffroy (proche de l’American Primitivism). Dans la seconde, la musique électro-cinématique de Laurent Saïet préexiste à la matière visuelle et les images s’y écoulent comme une chorégraphie lancinante et sensuelle. Pour WetWetWet (2015), extrapolé d’un poème créé pour un projet de Net Art collaboratif en 2001, on retrouve encore le principe du voyage sonore avec des images tournées à Ostende, à La Rochelle, à Anvers et aussi en Chine, auxquelles se superposent des sons de chants tibétains et de guitares acoustiques (Glenn Jones). Dans Gaps (2014) (littéralement « écarts »), Tamara Laï souligne les décalages, les fractures, les contrastes et les vides qui occupent la vie moderne, tandis qu’avec @TENDRE (2021), elle s’appuie sur des fragments d’un texte écrit en 2005 (My Virtual Body) et d’une bande-son de Bruce Gremo, compositeur et interprète de New York travaillant à Beijing, pour y exprimer ses pensées intimes dans le contexte de la crise sanitaire. Sorte de méditation en mouvement, ce dernier film en date évoque l’époque actuelle et les évènements traversés depuis un an et demi avec son lot de virtualité obligée, de menace permanente, mais aussi ses sursauts de vitalité et de résistance ; à l’image du mouvement Still Standing.
En guise de conclusion, des images de la nature font leur réapparition et dirigent à nouveau notre regard vers l’essentiel, ce lien au monde autour de nous. Un essentiel cependant « rêvé », nous dit l’artiste, puisqu’on ne peut pour l’instant qu’imaginer notre vie future. « Nous sommes là à attendre… tristes et tendres, à la fois… »
Informations
- Artiste(s) : Tamara Laï
- Éditeur(s) : MACS / Musée des Arts Contemporains au Grand-Hornu
- Auteur(s) : Denis Gielen et Philippe Franck
- Langue(s) : Français
- Pages : 96 pages
- Illustrations / Documents : 50 illustrations couleur
- Format : 21,5 x 12 cm
- ISBN : 9782930368801
- Parution : 25.09.21
- tamara-lai.be
Production
- MACS – Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles
- Tamara Laï reçoit le soutien de Transcultures
- mac-s.be