« Viens Valeur » | Projet pluridisciplinaire interactif ASMR – Rachel M. Cholz (Fr)

« Viens Valeur » s’intéresse au fétichisme des objets en tant que possibles sonores et poétiques. Il joue avec les paradoxes sémiotiques face au désintérêt de l’objet en tant que porteur de sens. Un décalage proposant ainsi une autre forme de narration qui interroge l’image à travers les réseaux et la mise en valeur de l’icône d’aujourd’hui.

Projet interactif à l’écriture particulière, il s’inspire directement du procédé de l’ASMR en proposant une dramaturgie inédite avec plusieurs youtubeuses pour leur propre chaîne. Le projet s’est pour le moment développé autour de quatre collaborations.

L’ASMR ou “Autonomous Sensory Meridian Response” que l’on peut traduire par « réponse autonome sensorielle culminante » est une sensation distincte, agréable, de picotements ou frissons au niveau du crâne, du cuir chevelu ou des zones périphériques du corps, en réponse à un stimulus visuel, auditif, olfactif ou cognitif.

C’est en 2008 que Jennifer Allen, une professionnelle de la cybersécurité américaine, se rend compte que plusieurs vidéos lui provoquent une sensation agréable et apaisante. En 2009, elle trouve le message d’un internaute sur un forum évoquant cette mystérieuse sensation, décrite comme un “orgasme” du cerveau. Les internautes commencent à partager des vidéos qui déclenchent la sensation recherchée. Afin d’éviter que ce plaisir cérébral ne soit associé à de l’érotisme, Jennifer Allen décide de trouver un nom scientifique au phénomène (avec une référence aux voies d’énergie de la médecine chinoise -méridien- et à la réaction propre à chaque individu -autonome- face à des éléments extérieurs).

Viens Valeur - Un projet au long cours

“Viens Valeur”, en tant que projet,  s’intéresse à la place de l’icône dans la société contemporaine. Tout d’abord à travers le détournement de la sémiotique des objets à des fins auditives, mais aussi vis-à-vis de la mise en réseau de l’image, prise ici au sens large.

Le projet s’est développé autour de l’ASMR, cette tendance qui aujourd’hui, à travers des milliers de vidéos Youtube, participe à une réelle fiction collective et propose tout un panel de jeux interactifs, entre la mise en scène, le processus, le rôle des objets, l’interactivité sonore et textuelle, et l’approche sociologique.

L’ASMR fut d’abord un procédé s’intéressant seulement aux sons, en considérant seulement l’objet et les mains dans le cadrage. Le son renvoie notamment à des sensations connues: des souvenirs qui nous rassurent.  Nous nous focalisons notamment sur l’interlocuteur: nous frôlons les paramètres de l’hypnose en se soignant au travers des souvenirs.

Très vite, les producteur.trices de contenu ASMR se sont impliqué.es visuellement, en travaillant l’incarnation, la beauté, l’identité visuelle de manière iconique, comme le feraient les muses et les déesses. Cette appropriation de l’ASMR (sous plusieurs formes, comme le thème du bien-être, de l’alimentation ou de la présentation de produits commerciaux) renvoie toujours à ce même face à face. Un nombre de vues phénoménal, pour une intimité démultipliée.

L’ASMR semble représentatif d’une intimité nécessaire dans un flux d’informations où chaque personne prend le temps de regarder et d’écouter, en total repli sur lui-même, des sons censés le stimuler et le captiver de manière individuelle, avec pour ce faire une écoute à grande échelle qui dépasse parfois les millions de vues. Une vue est d’ailleurs précieuse, elle permet aux youtubeurs de gagner de l’argent, mais surtout de placer des produits. Le nombre de vues en détermine la valeur. Le geste devient valeur. Le temps passé à regarder la vidéo est un enjeu monétaire.

Il ne s’agit pas de critiquer ce phénomène, il ne s’agit pas non plus d’encenser cette tendance et de réutiliser de manière littérale ses codifications pour en faire ressentir ses effets. Il s’agit ici d’en percevoir les mythes.

Les icônes

Actuellement, Viens Valeur utilise le matériel audiovisuel produit par quatre youtubeuses avec lesquelles Rachel M. Cholz travaille en étroite collaboration.

Il existe un réel décalage entre le temps passé à faire la vidéo, à par rapport à sa recevabilité (quelques heures de travail pour une vidéo, pour une moyenne de 60 000 vues). C’est pourquoi les youtubeuses sont ici perçues comme des déesses, icônes, ayant une réelle influence sur leurs internautes qui leur reste fidèle. Elles ont  chacune une personnalité propre tout en s’influençant les unes les autres.

Le geste et la parole

Le geste prend la parole. Les gestes de chacune s’échangent et se mélangent aux divers espaces représentés. Nous sommes ici dans une mise en chorégraphie du quotidien.

Le mot, est lui aussi régulièrement détourné de son sens premier à des fins auditives. Il y a ainsi la possibilité de travailler sur tous les paradoxes de la langue quand on la détourne de ses champs lexicaux. Ces procédés laissent une véritable opportunité de jeux poétiques et sonores. Proposer une dramaturgie poétique prenant sens à travers cette interface permet de jongler entre des climats détournés de leur contexte. Les possibilités sémiologiques de ce projet allient poésie et enjeux dramaturgiques dans un cadre qui se veut plus tendance et populaire.

Bien que la finalité soit une installation vidéo multi-canaux interactive, ce projet au long cours prévoit d’autres productions intermédiaires : installation vidéo mono-bande, sonore, performance audiovisuelle…