Article | Second life, pionnier du métavers, utopie d’un « autre » internet…

Article | Second life, pionnier du métavers, utopie d’un « autre » internet…

En cette période rendue aseptique dans laquelle il faut garder ses distances et avancer masqué, le numérique et son immatérialité permettent de trouver des alternatives aux contacts sociaux habituels et l’utopie d’un monde virtuel persistant, un métavers, n’a jamais été aussi palpable.

Si Facebook Horizon pointe le bout de son nez, que des jeux de  simulation de vie massivement multijoueurs comme Animal Crossing (nintendo) et Fortnite organisent des concerts, des expositions, des remises de diplômes et que VRChat va certainement à augmenter fortement l’achat de casque de réalité virtuelle (VR)… Second Life, lancée en 2003 est et restera une des premières grandes utopies concrètes d’un monde virtuel accessible au grand public.

Métavers est un mot valise issu de l’anglais metaverse (contraction de meta universe) qui sous tend le concept d’un monde virtuel imaginé et décrit dans le roman Snow Crash (Le Samouraï virtuel), de l’auteur de science-fiction américain Neal Stephenson (paru en 1992). L’écrivain en parle à l’époque comme une vision de ce qu’un Internet basé sur la réalité virtuelle pourrait devenir.

Alors que Second Life a presque 20 ans et ne permet toujours pas le déploiement de la réalité virtuelle, la plateforme est délaissée au profit d’autres solutions qui s’affichent plus directement comme des réseaux sociaux facilement accessibles et immersifs. Même si la période de la pandémie et du confinement ont bien entendu vu le nombre de ses utilisateurs augmenter un peu, la concurrence n’en n’est que plus rude et le combat par trop inégal. Cependant, si Second Life se meurt doucement, elle reste malgré tout utilisée par une série d’artistes qui sont attirés par son côté éclectique, étrange, confidentiel, aux règles moins rigides, au design moins « léché » et au passé glorieux. Des communautés de passionnés s’y retrouvent donc pour des concerts de musiques, ou des projections de films, des vernissages d’exposition.

C’est ainsi que Transcultures s’est intéressé au projet A Limb de l’artiste belge Didié Nietzsche, présent sur Second Life depuis plusieurs années et avec qui une collaboration a été engagée pour proposer une série de concerts et de performances, ainsi qu’un mini-festival saisonnier tout au long de l’année 2021 afin de poursuivre (avec ses partenaires les Pépinières européennes de Création et le label Transonic) les activités de promotion et de soutien d’artistes internationaux en ces temps où un concert en virtuel permet de rassembler, de garder une proximité entre artistes et publics tout en privilégiant pour Transcultures/Transonic la création et les rencontres intergenres et intermédiatiques.

Avant de plonger sans doute vers d’autres plateformes, Transcultures a voulu mettre un coup de projecteur sur des artistes qui ont investi ce projet pionnier qu’est Second Life depuis des années et rencontrer un communauté de créateurs hétéroclites, multiculturelle et qui n’a pas attendu la pandémie du Covid-19 ou la réalité virtuelle pour se rencontrer et pouvoir diffuser leurs oeuvres.

18 ans de Second Life - un peu d’histoire

Lancé au début des années 2000, tous les contenus aujourd’hui présents dans Second Life ont été construits par les utilisateurs et non pas conçu par Linden Lab, la société qui a développé Second Life. Dans cet univers il n’y a pas d’objectif préétabli, pas de règle du jeu. Chacun est libre d’y projeter ses envies. On y retrouve des mégalopoles, des châteaux de vampires, des îles paradisiaques. On peut assister à des concerts produits par d’autres utilisateurs, monter un commerce et gagner des dollars Linden, la monnaie locale qui possède un taux de change et ajoute une perméabilité entre les mondes virtuel et physique. Il y est évidemment aussi possible de déambuler, d’être spectateur.

Le champ des possibles vertigineux proposé est, pour l’époque, révolutionnaire. La plateforme est pressentie comme l’avenir d’internet. Durant les années qui suivent sa sortie, Second Life connaît un succès international jusqu’à avoir un million d’utilisateurs mensuels en 2007. Alors que de nombreux observateurs prédisaient une popularité croissante, celle-ci stagne quelques années avant de régresser. Le nombre d’utilisateurs atteint son maximum parallèlement à la montée de Facebook. Cette conjoncture semble être l’expression du fantasme de pouvoir modeler sa vie et montrer une version tronquée, idéalisée de soi plutôt que de devenir un avatar à part entière.

Cette perte de vitesse accompagnée par le développement des réseaux sociaux proposant une version organisée, filtrée de notre vie font d’ailleurs naître des moqueries à l’égard de la plateforme et de ses utilisateurs. Ceux à qui on promettait l’avenir d’Internet étaient relégués au rang de ringardise. Avoir un avatar, une existence entièrement séparée “cristallise l’appel simultané de la sirène et la honte de vouloir une vie alternative. Cela soulève des questions sur où mène la fantaisie sans entraves, ainsi que sur la façon dont nous naviguons à la frontière entre le virtuel et le réel.” comme l’explique la romancière/essayiste nord-américaine Leslie Jamison dans l’article The digital ruins of a forgotten future. 

D’autre part, Second life et ses ambitions font face à des limites technologiques. Pour son fondateur Philip Rosedale, il y a plusieurs raisons à cela explique-t-il dans une interview accordée au Journal du Net :

La première est que le fait de pouvoir communiquer avec autrui dans un monde virtuel n’est pas encore aussi développé et sophistiqué que dans le monde réel. Il est en effet plus difficile d’exprimer ses émotions en temps réel dans un espace virtuel.

La seconde raison est que si vous souhaitez interagir, et surtout construire quelque chose dans un univers 3D, comme par exemple une simple maison, la souris ne suffit pas.Ce problème n’a pas seulement été rencontré par Second Life mais par beaucoup d’autres sociétés dont le concept était basé sur la construction en 3D et qui ont également cherché à simplifier, sans succès, ce processus de création et à le démocratiser pour le plus grand nombre…

A ces problèmes énoncés par Philip Rosedale, le fondateur de Second Life, s’ajoute une programmation hautement perfectible. La plateforme présente des lenteurs et des bugs qui peuvent eux aussi rebuter les utilisateurs et surtout des nouveaux.

Malgré tout, Second Life continue d’exister avec 500 à 600.000 utilisateurs actifs mensuels et a même trouvé un regain d’intérêt depuis l’apparition de la pandémie de la Covid-19 et ses conséquences. Au fur et à mesure des années, les métavers semblent être devenus un miroir déformant de notre monde, un univers dans lequel reproduire des schémas déjà présents au quotidien. Il est plus facile d’y assouvir des fantasmes souvent inaccessibles dans le monde physique et d’y exprimer (et/ou découvrir) sa créativité jusqu’aux limites de ce que la plateforme offre.

Aujourd’hui la grande majorité des utilisateurs de Second Life sont des habitués, souvent regroupés dans des réseaux, des communautés en fonction de leurs activités, de leurs usages de la plateforme. Certains créent des jeux de rôles avec leurs propres règles à l’instar de la communauté des vampires par exemple. D’autres souhaitent fonder une famille avec d’autres utilisateurs initialement inconnus. Des activités professionnelles et scolaires sont organisées. Des concerts, des expositions, des performances et d’autres propositions artistiques sont également mises en place. Comme dans le monde matériel, il y a de l’autre côté du miroir une place pour les chemins de traverse, pour créer, expérimenter en dehors des tendances générales.

Le futur de Second Life

En juillet 2020, Linden Lab a annoncé son acquisition par un groupe d’investissement dirigé par Randy Waterfield et Brad Oberwager. Cela pourrait-être une bonne chose, puisque cela est synonyme de moyens supplémentaires pour mettre la plateforme à jour et offrir de nouvelles fonctionnalités. Cependant, que ça soit Second Life ou les autres metavers qui ont actuellement le vent en poupes, toutes les initiatives aujourd’hui sur le marché doivent certainement redouter la date d’ouverture au public de leur plus grand concurrent : Facebook Horizon et son casque de réalité virtuel Oculus.

Ca n’est pas forcément en termes d’univers, de possibles ou d’engouement que la plateforme de Mark Zuckerberg se pose comme étant leur possible condamnation, mais avec des fonds illimités, la plus grande base de données d’utilisateurs et possédant une grande marque de casque VR, Facebook est même capable de résister à un premier flop de sa plateforme ou à un boycott des annonceurs ou d’un groupe utilisateurs. S’il s’avère populaire et que la demande est suffisante, alors, il n’y a aucun doute que Facebook Horizon aura une longueur d’avance et que le combat risque fort d’être totalement inégal.

Néanmoins, personne ne peut vraiment prévoir l’utilisation de la VR au quotidien ni son interpolation avec l’informatique grand publique. Second Life, avec son ancienneté, ses particularités et son côté « vintage », résistera peut-être même mieux, ou plus longtemps (comme il le fait depuis près de 20 ans) que d’autres projets. Une fois l’engouement passé, risqueront d’être relégués dans l’oubli, épiphénomènes dans la course vers la possibilité de pouvoir vivre une autre vie, d’être quelqu’un d’autre, ne serait-ce que l’espace d’un instant.

 

Article par Léo Desforges & Jacques Urbanska
Transcultures 2021